Face
«J’ai l’impression forte de percevoir deux mondes différents, le monde des biens portants, des gens normaux, et le monde des cancéreux. Le monde des cancéreux, c’est cette cohorte de gens dont je fais partie. Ces gens sont comme moi, je les regarde, ils ont l’air normaux, ça me rassure.»
Catherine
«La maladie est la zone d’ombre de la vie, un territoire auquel il coûte cher d’appartenir », écrivait la philosophe américaine, Susan Sontag, dans un très bel essai sur les représentations sociales du cancer. Zone d’ombre, en effet, que l’expérience de la maladie grave, celle que tout le monde redoute et dont on ne voudrait finalement rien savoir. C’est ce territoire méconnu, cette mise en parenthèse du monde, que nous avons souhaité approcher, Valérie Couteron en tant que photographe et moi-même, Cécile Prieur, en tant que journaliste. De l’automne 2006 à l’automne 2007, nous sommes donc allées à plusieurs reprises à la rencontre de patients souffrants du cancer et hospitalisés à l’Institut de cancérologie Gustave Roussy (IGR), à Villejuif.
Pourquoi le cancer ? Parce que, comme le dit très justement Susan Sontag, il tient une place à part dans les fantasmes que suscitent les maladies. Pour beaucoup, il est la pathologie de la modernité, celle dont l’incidence ne cesse de croître tandis que ses causes, en dehors du tabac, de l’alcool et de certains polluants, restent mystérieuses. Comme la maladie d’Alzheimer désormais, le cancer fait peur, associé qu’il est à des images de traitements longs, éprouvants, dont l’issue reste incertaine. Pis, il fraye avec la mort, cette fin de vie dont nos sociétés cherchent à se détourner. Longtemps, il est resté une maladie honteuse, qu’il convenait de cacher. Et même si le voile se déchire aujourd’hui, du fait de campagnes de sensibilisation qui cherchent à le banaliser, le cancer reste ce «démenti cruel à l’optimisme social», comme le qualifie le romancier et essayiste Philippe Forest.
Aujourd’hui encore, l’expérience vécue du cancer reste largement méconnue. La foison de publications que suscite cette pathologie concerne l’avant-maladie (le cancer, comment s’en prévenir, comment l’éviter…) ou l’après-maladie, au travers de récits de malades « qui s’en sont sortis » et qui font retour sur l’épreuve qu’ils ont subie. Le temps de la maladie, au moment où elle est vécue/éprouvée, reste un point aveugle, comme la page blanche de l’expérience. Seuls les malades eux-mêmes, leurs proches et les soignants partagent ce qui peut se partager, justement, dans cette épreuve.
On pourrait penser qu’il n’y a pas de place pour un regard tiers pendant ce temps de retrait que constituent l’hospitalisation et son cortège de traitements. Et pourtant, notre démarche a été favorablement accueillie des patients. Grâce à l’intermédiaire des cadres infirmières, sans lesquelles notre projet n’aurait pu aboutir, nous avons pu rencontrer des hommes et des femmes de tous horizons, tous âges et toutes classes sociales dans trois services de l’IGR, celui qui traite des cancers de la sphère ORL, celui qui soigne les leucémies (hématologie) et celui de la chirurgie du sein. Intéressés par l’idée de témoigner de leur expérience, acceptant sans difficulté le portrait photographique, les malades appréciaient également une démarche qui brisait provisoirement l’ennui propre au temps hospitalier, mais aussi le désintérêt social voire l’isolat dans lequel ils se sentent confinés.
Ces rencontres ont toutes été exceptionnelles, à plus d’un titre. Toujours riches, souvent émouvantes, parfois éprouvantes, elles reposaient sur l’alchimie, presque la poésie d’un moment volé à la routine hospitalière. Ces patients dont nous ne connaissions que le nom et (à peine) la pathologie, quand nous poussions la porte de leur chambre, nous ont surpris par la générosité avec laquelle ils ont accepté de se livrer. Sans doute la maladie, sa gravité, les souffrances endurées, portent à aller à l’essentiel. Reste que c’est avec une dignité et une simplicité rares que ces personnes se sont confiées, révélant, au travers du récit de leur maladie, leur profonde humanité.
Que nous disent ces hommes et ces femmes ? Comment vivent-ils ce moment si particulier de leur existence, quand la maladie arrive à domicile, bouleverse leur quotidien, renverse les équilibres et fragilise jusqu’aux plus déterminés d’entre eux ? De ce «mal qui s’installe sans frapper», selon le mot de Susan Sontag, les malades parlent comme d’un «coup de couteau», un «poignard» qui transpercerait leur existence. Germain a ressenti l’annonce de son cancer du larynx et du pharynx, comme «une gifle, prise en pleine figure». «Jusque-là, on m’avait toujours dit que c’était un simple oedème», dit-il. Même violence pour Marcel, qui s’est entendu dire un jour, par un stomatologue : «on va pas tourner autour du pot, rendez-vous à l’IGR!» «Là, j’peux vous dire, ça a fait un tour dans ma tête !», soupire cet homme, atteint d’une tumeur au sinus droit.
D’autres patients, au contraire, anticipent l’annonce de leur mal, comme s’ils en avaient l’intuition. «Ce grain de beauté dans l’oreille… Je ne sais pas pourquoi, j’ai eu l’intuition qu’il pouvait être suspect» se souvient Sylvie. «Un mois avant de savoir que j’avais le cancer du sein, je rêvais que j’étais malade, que j’allais voir ma gynécologue, explique Adriana. Ce n’était pas une surprise.» Comme pour Monique, qui avait compris avant qu’on lui dise. «Mon médecin n’osait pas me le dire. J’ai dit : c’est un cancer ? Il m’a dit oui. J’ai dit : c’est bien.»
Maux et mots. Les patients découvrent vite le langage médical, celui qui veut dire sans dire, qui annonce avec circonspection, si ce n’est circonvolutions. «Les médecins ne parlent pas de cancer. Ils parlent de micro calcifications, de carcinome, de ganglions… Au début, c’est totalement déroutant», témoigne Sylvie. «Je pense qu’en plus de ma tumeur à la langue, j’ai maintenant un cancer du poumon, affirme Rémi. Ils m’ont prévenu par périphrases. Ils disent maladie, ganglions, infection, extension. Même ici, le mot cancer fait peur.» Et Rémi de poursuivre : «cela dit, je ne sais pas si cela m’aiderait qu’on me dise clairement les choses. Cela dépend tellement de l’état dans lequel vous êtes. C’est comme un petit jeu entre patients et médecins.»
Tout de suite après l’annonce, un grand sentiment d’abattement étreint les malades. La plupart ne sont nullement préparés à affronter l’épreuve d’une longue maladie, beaucoup n’ont même jamais pensé que cela puisse leur arriver. «J’étais très surpris, je n’avais jamais été malade, je n’ai pas compris» se souvient Mario, atteint d’un cancer du poumon. Et Catherine, qui souffre d’une leucémie, d’expliquer : «la vie s’écroule, tout se casse la figure, on ne vit plus que pour lutter contre la maladie. La vie se résume à ça». Elle poursuit : «au début, j’ai beaucoup craqué. Beaucoup de larmes. J’étais coupée du monde, je n’étais plus dans la norme.»
Il y aussi le sentiment d’injustice, le «pourquoi moi ?» qui tourne dans la tête. Comme Marie-Thérèse, dont la tumeur s’est développée au-dessus de la cloison nasale et qui cherche une explication à cette maladie mystérieuse et angoissante.
«Je n’ai jamais fumé, jamais bu, je ne me suis jamais drogué… Est-ce parce que j’ai fait de la mobylette pendant 44 ans, et que j’ai pris les gaz d’échappements ? Je voudrais tellement comprendre, mais les médecins ne savent pas…»
Au cours de ce long cheminement qu’est la maladie grave, la question du pourquoi la maladie, pourquoi cette épreuve dans sa propre vie reste souvent en écho chez les personnes atteintes.
Toutes sont loin de considérer le cancer comme une «entité dépourvue de sens» (Susan Sontag) qui « frappe aveuglément sans se soucier de savoir qui est digne de vivre et qui mérite de mourir » (Philippe Forest). La plupart de ceux qui croient en Dieu ou en une spiritualité inscrivent leur maladie dans un parcours personnel. «Je suis très croyant et cela m’aide énormément», affirme Jalil, en traitement depuis des mois pour une leucémie et qui n’a « pas perdu la foi, malgré quelques fâcheries avec Dieu». D’autres pensent que le cancer était inscrit dans les tourments de leur histoire. «Je crois que cette maladie m’arrive pour me délivrer de mes doutes et des peurs du passé», affirme Adriana. «J’ai vécu des épreuves dans ma vie qui expliquerait peut-être la survenue de mon cancer du sein», croit savoir Monique.
Face à la maladie, chacun compose, ajuste sa réponse, se bricole une nouvelle condition, en fonction de sa personnalité, son histoire, son vécu. Moins souffrir passe parfois par un travail de mise à distance de la pathologie, comme une expropriation de soi-même le temps des traitements.
Comme Lydie, qui a développé successivement un cancer des cordes vocales, de la
langue puis du palais, qu’elle a tous surmonté. «A chaque fois que j’ai su que j’étais malade, cela ne me concernait pas, raconte t-elle. J’étais distanciée, comme spectatrice de moi-même. J’étais sûre que ça allait passer.» Annie, atteinte d’un cancer du sein, comme sa mère et ses deux filles, a pris quant à elle le parti de banaliser sa maladie comme pour mieux la dépasser. «Pour moi, c’est comme une appendicite mal placée. Je viens ici comme si j’allais chez le dentiste. Je me dis que c’est un mauvais moment à passer.»
Corps et esprits sont souvent en guerre. Même si aucune étude médicale n’a réussi à démontrer l’impact de l’état psychologique sur l’évolution du cancer, ils sont nombreux à vivre leur maladie comme une bataille constante à mener. «Le cancer, c’est une lutte armée, c’est belliqueux. Si je devais donner une couleur, ce serait le rouge vif. Rouge comme le sang.», affirme Jalil. Il s’agit d’être dans l’action, de tenter d’influer sur le cours des choses pour battre en brèche l’angoisse permanente. «Se battre, c’est vraiment important pour guérir, sinon la maladie gagne du terrain», estime ainsi Frédérique, qui a eu trois cancers du sein. «Avoir bon moral, est-ce que c’est nécessaire ?» s’interroge au contraire Rémi. Je crois que c’est pas très scientifique et pas juste pour ceux qui ne l’ont pas. Moi, je l’ai et je suis loin d’être certain de pouvoir m’en sortir…»
Mal en expansion, qu’il faut endiguer, contrôler et éteindre, le cancer met à l’épreuve sur la durée, en imposant au malade une succession de protocoles, chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie, comme une ronde infernale. «Vous êtes emportés par les événements. Toutes ces thérapies, ces batteries d’examen, ces discours de médecin… C’est comme un courant que rien n’arrête», raconte Jalil. «Les traitements, je les vois comme une accumulation de petites tortures indispensables pour guérir, explique Rémi. A chaque fois qu’on les dépasse, on se dit : «ça y est. J’y suis arrivé. Je vais m’en sortir. J’arrive à gérer.» Parfois, du fait des effets secondaires puissants, les traitements paraissent pires à vivre que la maladie : «Ce qui n’est pas évident, c’est d’accepter d’aller moins bien pour aller mieux ensuite, affirme Maryse, qui redoute la chute annoncée de sa chevelure, sous l’effet des chimiothérapies. Ça l’est d’autant moins qu’on n’est pas certaine de la guérison. Et souvent on se dit : à quoi bon ?»
A quoi bon, en effet, continuer les traitements quand la tumeur s’acharne à résister, que «le pronostic» devient «très mauvais à court terme» ? L’angoisse, paroxystique, paraît alors insurmontable.
«Quand on m’a annoncé que mon cancer récidivait, ça a été un moment très, très difficile, énonce posément Rémi. On se sent très mal. Ça tournait dans ma tête, je me disais : mais qu’est-ce que j’ai fait ?» Il y a ainsi des moments de repli sur soi, d’enfermement, quand la personne atteinte ne veut plus ou ne peut plus voir personne. «Il y a eu un moment, au début de ma maladie, où j’étais dans mon coin, comme un vieux chat malade, raconte Olivier, qui souffre d’une complication d’un cancer des amygdales. C’était pas bon, j’ai dû me faire violence pour m’ouvrir à nouveau…» Dit autrement par Catherine : «J’ai l’impression d’être en miettes, je ne sais pas où ni comment mais je suis en miettes.»
Il y a ainsi des jours où un sentiment de dépossession de soi envahit les malades, comme si les traitements, les protocoles, les médecins prenaient le pas sur leur subjectivité. Pour Philippe Forest, le patient est ainsi «aussi celui qui subit». «Il n’y a pas de sujet des soins, écrit-il. Car le principe même du traitement médical réifie celui qui s’y trouve soumis. Alors le malade découvre sa nouvelle condition d’objet.» Comment composer avec ce sentiment de ne plus maîtriser le cours des choses, l’impression, infantilisante, que son destin est entre les mains des médecins ?
Si beaucoup affirment faire «confiance» au corps médical, ils sont nombreux à vouloir tout savoir de leur maladie, comme pour se faire un peu les médecins d’eux-même. «Quand on a cette maladie, on est plus du tout maître de son corps, explique Sylvie. J’ai besoin d’être très informée, cela m’aide à reprendre le contrôle». «Ils doivent me dire ce qu’ils vont me faire. Et le justifier, scande Maryse. Je ne veux plus me laisser faire à n’importe quel prix, je refuse cette escalade des traitements.»
Exproprié de son propre corps, soumis aux décisions du corps médical, le patient traverse une expérience du temps inconnue, où sa patience est mise à l’épreuve au delà de l’imaginable.
«On est à la recherche du facteur Temps. On voudrait en finir le plus vite possible. Le facteur Temps, c’est ce qui nous ronge», explique Jalil.
Dans la chambre, l’ennui le dispute souvent à l’attente des traitements, des visites, des repas, de tout ces petits moments hospitaliers qui tentent d’épuiser ce temps qui s’étire. «Il y a des journées qui sont faites de rien, des journées sans évènements. On a pas son libre-arbitre. On est comme enfermé», témoigne Lydie. «C’est l’enfermement qui est le plus difficile à vivre, renchérit Bruno. Au bout de deux semaines de chambre stérile, cela devient presque insupportable. Je compte les jours, comme dans un univers carcéral.»
Pour lutter contre ce désoeuvrement qui les ronge, certains patients s’organisent pour que la maladie entame le moins possible leur existence. C’est Germain qui pilote sa boîte de BTP à distance «Je suis à 70% avec mon entreprise et je focalise moins sur la maladie» ou Bruno, qui manage son équipe de direction par ordinateurs interposés. Mais comment empêcher les doutes et les questionnements ? «Le retrait du temps abandonne l’individu à la méditation, la contemplation, activités que proscrit normalement la vie moderne qui valorise leurs contraires et auxquelles elle ne prépare pas, écrit Philippe Forest. (…) Le vertige d’une vacance ouvre ainsi dans le monde comme une parenthèse vide où va se loger l’inévitable considération de la mort qui vient».
Comment composer avec l’idée de la mort quand on est atteint d’une maladie grave ? Beaucoup affirment ne pas y penser, mais parlent de leur peur de la souffrance, immense. «On a une peur qui est omniprésente, omniprésente. Ce n’est pas une peur de mourir, c’est plutôt une peur de souffrir», témoigne Frédérique.
«J’ai eu peur de la dégénérescence physique, peur de l’état dans lequel j’allais me retrouver, peur de perdre mon intégrité physique et de me retrouver comme une loque, explique Catherine. Mais je n’ai jamais pensé à la mort. Le cancer c’est quelque chose qui entraîne vers la mort mais c’est pas pour moi.»
Pour d’autres, l’angoisse engendrée par la maladie les conduit à faire face à leur propre mort. «Vous êtes dans le couloir de la mort. Tout en étant vivant. Et vous le traversez. Et vous vous dites : est-ce que je vais basculer ?», explique Jalil.
«La mort était très présente pendant les premières semaines de traitement, avant de savoir si j’étais en rémission ou pas, se souvient Julien, atteint d’une leucémie. Je me suis dit : et merde, je n’ai peut-être plus que trois mois à vivre…» Parfois, la fin semble toute proche. «J’ai une vision de 2007, je veux croire que je vais vivre, affirme Rémi. Mais j’envisage la mort, c’est une possibilité importante, une hypothèse de travail. A chaque fois qu’un traitement échoue, c’est comme si j’avais un joker en moins dans mon jeu.»
Pour tenir, il y a les autres, ceux qu’on dit proches, conjoint(e), enfants, parents, amis. Pour eux aussi la maladie est une épreuve, elle travaille en profondeur les liens auparavant tissés.
Certains malades sont parfois étonnés, blessés, de l’attitude des leurs, quand ces derniers ne parviennent pas à leur venir en aide. «Quand j’ai expliqué à mes parents que j’allais avoir une mastectomie, ils ont minimisé et rejeté ce que je disais. Ça a été très dur pour moi», se souvient Sylvie. Julien lui, ne comprend toujours pas pourquoi de tous ses copains, avec qui il formait «les cinq doigts de la main», «il n’y en a qu’un seul qui a tenu la route». Germain lui aussi s’est senti «très isolé» au moment où il aurait eu besoin du soutien de ses amis : «les gens sont gênés par rapport à la maladie. Les copains me disent : on sait pas quoi dire !»
La plupart des malades font état de ce paradoxe : ils ont trouvé de l’aide auprès de personnes auxquelles ils n’auraient pas pensé quand celles qu’ils attendaient ne répondaient pas toujours à l’appel. Mais la maladie sait aussi révéler le meilleur chez chacun. Très émue, Patricia explique :
«j’avais très peur de l’image que mon mari allait avoir de moi. Peur qu’il s’en aille, parce que j’avais perdu mes deux seins. Et pas du tout, il a été très très proche. Il m’a dit : mais c’est de toi dont j’ai besoin, pas de tes seins !» Le conjoint, le frère, l’ami, est parfois celui qui (re)donne raison de vivre : «au début de ma maladie, j’étais mal, très mal. Je perdais tous mes cheveux, je croyais que j’allais mourir, raconte Nicolle, atteinte d’un cancer de la thyroïde. Je me disais, j’ai 75 ans, à quoi bon ? Mais quand j’ai vu la tristesse délirante de mon fils, ma famille super, mon mari incroyable… Après 43 ans de mariage, il faut être malade comme ça pour voir combien on est aimé…»
L’avenir ? Chacun sait que pour inscrire le mot “ fin ” après un cancer, pour que la guérison soit absolue et définitive, il faudra que bien des années s’écoulent après ce temps du traitement.
Seul le mot “ rémission ” est autorisé et pour certains, qui ont déjà connu une récidive, il peut avoir un goût amer. «Aujourd’hui, j’ai confiance. Mais il reste un mais, il restera toujours un mais», dit Frédérique, qui soigne un troisième cancer du sein. La maladie bouleverse irréversiblement le cycle de vie. «Moi, j’aurai toujours ça en fond d’écran. Je serais toujours cancéreuse. C’est inscrit dans ma vie et c’est comme ça», ressent quant à elle Sylvie. «Le sentiment que j’ai, c’est qu’on est là, en sursis, explique Monique. On ne vit pas au jour le jour, mais presque. Je sens que je ne suis plus la même. Il y a quelque chose qui est là et qui m’habite, comme en gestation. Je n’ai pas l’impression de m’en être débarrassée.»
La plupart des patients parlent de l’épreuve qu’ils traversent comme d’une rupture biographique, une expérience qui change(ra) le cours de leur existence, mais aussi leur regard sur l’avenir.
Tous parlent de l’inestimable trésor qu’est devenue la vie. «Il faut se réadapter à ce nouveau corps qu’on a et faire le deuil de l’ancien qui a disparu, explique Patricia, qui a subi une double masectomie. Mais c’est tellement secondaire par rapport à l’espoir, la vie…» «Quand on perd la santé, c’est là qu’on se rend compte de la valeur de la vie, tout simplement, affirme Jalil. Je ne sais pas si, après un cancer on peut vivre d’autres expériences où l’on côtoie la vie et la mort à ce point.»
«L’important d’aujourd’hui ne peut plus être l’important d’hier, analyse Adriana. Je me regarde d’une autre façon, je me sens plus naturelle, plus légère. Le plus important, c’est la vie. Le reste, c’est des poussières dans l’air.»
Texte de Cécile Prieur




















